La crème de la crème des berlinettes Alpine est constituée par les voitures d'usine. Parmi elles, les 1800 Groupe 4 de 1973 sont les plus convoitées, et les quelques châssis qui ont gagné une épreuve sont les plus rares (7 victoires en 1973). C'est exactement le cas de 18290. Cette berlinette 1800 ex-usine fait partie des 17 voitures engagées par Jean Rédélé et Jacques Cheinisse durant l'année 1973 pour le premier Championnat du Monde des Rallyes. Il fut remporté par la marque dieppoise qui renaît aujourd'hui de ses cendres.
Cette voiture commença sa carrière dès le début de la saison, avec le célèbre rallye de Monte-Carlo qui inaugurait ce nouveau championnat, dans lequel elle termina deuxième. Pour l'épreuve monégasque, le service compétition avait préparé cinq voitures neuves qui seront mises en circulation le 8 janvier, soit onze jours avant la course :
- 8691 HG 76, n° de série 18290 (Ove Andersson/Jean Todt)
- 8692 HG 76, n° de série 18291 (Bernard Darniche/Alain Mahé)
- 8693 HG 76, n° de série 18270 (Jean-Claude Andruet/Biche)
- 8694 HG 76, n° de série 18292 (Jean-Pierre Nicolas/Michel Vial)
- 8695 HG 76, n° de série 18271 (Jean-Luc Thérier/Marcel Callewaert)
Le châssis 18290 est donc attribué au vainqueur sur Alpine de l'édition 1971 du Monte-Carlo, le suédois Ove Andersson qui est assisté par l'actuel Président de la FIA, Jean Todt. Ce pilote qui affectionnait particulièrement la berlinette, et qui la considèrera jusqu'à son décès accidentel comme sa voiture de course préférée, compte bien rééditer son exploit en 1973.
Grace à la régularité de ses résultats, l'ancien casque bleu à Suez, pointe deuxième à l'issue du parcours, à seulement 1mn 44s d'un Andruet impérial. Il a pourtant eu quelques problèmes d'alimentation sur une spéciale du Vercors : Saint-Jean en Royans / La cime du Mas. Tous les espoirs lui sont permis, même si Andruet apparaît dans une forme morale et physique parfaite. Dans le col de la Madone, première spéciale du parcours complémentaire, le suédois signe un remarquable temps scratch battant le record de l'épreuve. Il se rapproche du leader. Au second passage du col du Turini, alors qu'Andruet crève, il ne peut véritablement porter l'estocade, car un mauvais choix de cloutage de pneux le retarde. Il prend tout de même la première place. Mais second coup de théâtre, au Col de la Couillole, Andersson sort de la route et crève deux pneus. Il n'a plus que 10 secondes d'avance sur Jean-Pierre Nicolas. Le rallye va se jouer sur la dernière spéciale, au Col de la Madone. À la seconde près, le suédois réédite son temps du premier passage, mais il est battu par un Andruet en état de grâce qui signe un chrono d'anthologie. Andersson et Todt finissent ce Monte-Carlo à la deuxième place.
Un mois et demi plus tard, la berlinette est engagée dans la troisième épreuve du championnat, le Rallye du Portugal appelé TAP du nom du sponsor de l'épreuve. C'est Jean-Luc Thérier qui va la piloter, assisté du journaliste Jacques Jaubert, décédé depuis et auteur d'un remarquable livre sur le grand pilote de Neufchâtel en Bray (Le temps des copains, 20 ans de Rallye). 18290 est renforcée au niveau du blindage avant et Thérier conserve son moteur 1800 Mignotet de Monaco. Nicolas garde sa voiture du Rallye Monte-Carlo (18292) et Bernard Darniche partira sur l'ex-voiture de Jean-François Piot (18009).
Le Rallye du Portugal est très bien organisé : 11 villes de regroupement sont réparties en Europe, et un parcours de concentration permet de rejoindre Coimbra. Le parcours commun est divisé en 4 étapes, pour une distance de 2800 km comportant 32 épreuves spéciales. Les principaux concurrents d'Alpine sont : le vainqueur de l'année passée, Warmbold, sur BMW 2002, les trois Fiat 124 spider de Paganelli, Pinto et Waldegaard, sans oublier les Citroën DS 23 du local Romaozinho et de l'autrichien Bochnicek.
Si la tête est immédiatement prise par un Darniche des meilleurs jours, Thérier le talonne de près, ne lui concédant que 8 secondes au terme de la deuxième étape. Il signe d'ailleurs un remarqué temps scratch à la fameuse bosse de Boa Viagem, immortalisée par des photos d'Alpine bondissantes qui ont fait le tour du monde. Pour la petite histoire, Thérier qui ne faisait guère de reconnaissances, avait utilisé les notes de Nicolas. Dans la troisième étape, avec quelques problèmes de frein et une panne de liaison radio, l'équipage de 18290 se fait distancer par un Darniche toujours aussi dominateur. Ils ont quasiment 2 minutes de retard sur le leader, et Warmbold se fait menaçant à la troisième place. Dans la spéciale de 32 km. de Notre-Dame de Grâce, coup de théâtre avec les abandons de Darniche sur bris de boîte de vitesses et de Warmbold pour de multiples ennuis mécaniques. Thérier prend alors le commandement et va signer les meilleurs temps dans 5 des 8 dernières épreuves. À l'arrivée, un slalom a lieu hors classement sur le circuit d'Estoril : les tribunes noires de monde font une formidable ovation aux deux Alpine de Nicolas et de Thérier. Ce dernier, en ramenant un second trophée à Alpine dans ce championnat du monde naissant apporte 20 points de plus au constructeur normand, qui en totalise 52 à l'issue de ce rallye.
18290 revient du Portugal par voie ferrée le 16 avril. Après révision, elle est vendue par le Service Compétition d'Alpine le 3 juillet à Jacques Marquet, un pilote de la capitale, équipée d'un moteur 1600 préparé par Bernard Dudot. Le père du V10 multiple champion du monde de F1 a, comme beaucoup, fait ses premières armes sur les bolides dieppois ! Il fut aussi l'initiateur des moteurs turbocompressés chez Renault et l'on se souvient de la formidable victoire d'une berlinette turbo au Critérium des Cévennes 1972. Marquet fait partie de l'écurie Procor (avec un certain Thierry Sabine). Il engage sa voiture tout d'abord au Tour de France Auto puis dans des rallyes nationaux ou internationaux pendant les saisons 1974/75/76. Le Monte-Carlo sera dans son programme en 1976, mais cela se solde cette fois ci par un abandon.
La trace de la voiture s'estompe alors pendant une quinzaine d'années... Ce pilote connait un divorce complexe et la berlinette est au nom de son épouse. 18290 est retrouvé à la fin des années 1980 et passe dans les années 1990 entre plusieurs mains de collectionneurs biens connus, la carte grise est perdue mais les plaques administratives d'identification d'origine sont demeurées sur la voiture. Elle est alors restaurée par les frères Ollier à Carqueiranne, dans le Var, grand spécialiste de la restauration des Alpine, pour le compte de Marc Alexander, qui la vend alors au Japon. Elle y reste plusieurs années avant qu'Erik Comas, l'ancien pilote de F1 qui a créé une écurie de berlinettes à Romans dans la Drôme, la retrouve, strictement dans le même état que lorsqu'elle appartenait à Marc Alexander. Un beau jour et malgré un décalage horaire de 8 heures, après avoir monté la voiture sur un pont, il nous appelle afin de confirmer de visu l'authenticité de la voiture. Les éléments retrouvés sur l'auto permettant de confirmer qu'il s'agit de la voiture d'Andersson et de Thérier, Erik Comas qui parle couramment le japonais, en fait l'acquisition et la ramène en France au début des années 2000. La découverte du " numéro secret " gravé sur le châssis que nous retrouvons dans les ateliers Comas confirme à 100 % l'origine de cette berlinette. Elle est alors remise en route, immatriculée et restaurée dans une optique de rallyes de régularités, ce qu'elle effectue avec le team Comas.
18290 est acquise en 2004 par Gilles Gibier, un amateur de compétitions historiques qui l'engage dans plusieurs épreuves de VHC ou de régularité. Voulant préserver au maximum les éléments authentiques de la voiture, il décide de construire une deuxième voiture grâce à une caisse neuve provenant du spécialiste bien connu Périgord Moulages. Cette voiture sera celle qui apparaitra désormais dans les épreuves VHC comme au Circuit des Remparts d'Angoulême en 2009. L'ancienne caisse et le châssis d'origine de 18290, restent inutilisés et stockés précieusement. A partir de 2011, Gilles Gibier décide de refaire 18290 avec le châssis d'origine et en utilisant une nouvelle caisse neuve du spécialiste réputé Périgord Moulages afin de préserver la caisse d'origine d'un éventuel accrochage. La caisse authentique sera précieusement conservée... 18290 est entièrement restaurée autour de cette caisse neuve sur le châssis d'origine pour être aussi homologuée par la FIA en Véhicules Historiques de Compétition, avec des modifications importantes concernant l'arceau, le refroidissement, etc, par rapport à l'origine " compétition " de 1973.
Cette 1800 Groupe 4 sera cédée en 2016 à son actuel propriétaire français, Didier Calmels, co-fondateur de l'écurie de Formule 1 Larrousse-Calmels et associé chez Signatech où la voiture sera préparée et entretenue. Cette société bien connue possède depuis 2012, l'exclusivité de l'engagement en compétition de la marque Alpine pour le renouveau de celle-ci, avec des résultas probants aux différents championnat suivants : FIA WEC, Europa Cup, A110 GT4, 24 Heures du Mans, etc.
Les améliorations effectuées par le team Signatech sont les suivantes :
- montage d'une boîte de vitesses Sadev de type 364 Monte-Carlo neuve d'une valeur de 15 000 €
- montage de sièges et harnais homologués FIA
- réfection du faisceau électrique et des trains roulants
- montage d'un tripmaster Terratrip 2
Ainsi équipée, elle sera engagée avec succès dans plusieurs épreuves historiques, dont deux " Tour Auto " et " Tour de Corse " en 2017 et 2018, mais aussi à la Giraglia, et aux rallyes du Mont-Blanc, à la Côte Fleurie et la Montagne Noire. Ces dix engagements ne connaîtront qu'un seul abandon à la Côte Fleurie, preuve de la qualité de la préparation de la voiture.
18290 possède toujours les éléments et pièces suivants :
- caisse d'origine de 1973 de cette ex-usine
- boîte de vitesses de type 364 Monte-Carlo d'époque (grosse boîte à pignonnerie renforcée spéciale usine)
- radiateur d'origine et son support (pièces remplacées par un gros radiateur pour le VHC) et diverses pièces
- un jeu de jantes supplémentaires Gotti 073R
Les cinq voitures engagées par l'usine au Monte-Carlo 1973 subsistent encore. Seules 18292 et 18271 sont encore montées avec leur châssis et leurs caisses d'origine. 18290 et 18291 sont montées avec une caisse neuve de Périgord Moulages sur le chassis d'origine, et dans les deux cas, les caisses d'origine ont été préservées et conservées avec les voitures. 18270 (la voiture d'Andruet, vainqueur) a une histoire particulière car il y a eu un " doublon " : elle a été vendue à un pilote grec à l'issue du Rallye Acropole 1973 et elle existe toujours dans ce pays avec une carte grise locale mais une autre voiture existe en France avec le même n° de série.
Auto vendue 369 520 € lors de la vente automobile d'Artcurial du 8 février à Rétromobile 2019.
État des participations, châssis 18290 :
19 au 26 janvier 1973, Rallye de Monte-Carlo, n° 15, Andersson/Todt - 2ème
13 au 18 mars 1973, Rallye du Portugal, n° 5, Thérier/Jaubert - 1er
14 au 22 septembre 1973, Tour de France Auto, n° 95, Marquet/Paoletti - Abandon
31 mars 1974, Ronde de Touraine, Marquet - 8ème de groupe
27 au 28 avril 1974, Ronde des Vosges, Marquet - 15ème
5 et 6 avril 1975, Critérium de Touraine, n° 3, Marquet/Ségolen - 20ème
3 et 4 mai 1975, Ronde de l'Armor, n° 8, Marquet/Gadal - 3ème
24 et 25 mai 1975, Rallye du Mont-Blanc, Marquet/Gadal - 10ème
7 et 8 juin 1975, Ronde Cévenole, n° 54, Marquet/Ségolen - Abandon
22 et 23 novembre 1975, Critérium des Cévennes, Marquet - Abandon
14 et 17 janvier 1976, Rallye de Monte-Carlo, n° 40, Marquet - Abandon
9 mai 1976, Ronde Limousine, Marquet, 14ème
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